Economie sociale et solidaire - Pauvreté

Interview du Secrétaire d'État à la lutte contre la pauvreté, Jean Marc Delizée

Mardi, 20 Janvier 2009

L'année 2010 sera consacrée au niveau européen à la lutte contre la pauvreté, ce qui se traduira par des actions dans les différents pays de l'UE. En Belgique notamment, un plan de 59 mesures a été déposé dès cet été pour lutter conte la pauvreté. A cette occasion, Pour la Solidarité a rencontré Jean-Marc DELIZEE, Secrétaire d'État à la Lutte contre la Pauvreté, pour une interview exclusive.

Pour La Solidarité : Quels sont les enjeux de la lutte contre la pauvreté ?

Jean-Marc Delizee : Bien que notre pays soit privilégié sur le plan mondial en terme de développement économique et social, force est de constater que nos concitoyens ne bénéficient pas tous de la même manière de cette prospérité générale. La pauvreté n'est pas née aujourd'hui, elle n’est pas un phénomène spécifique à la Belgique, pas davantage que les inégalités croissantes au sein de la population mais tous ces constats sont alarmants. Ils interpellent tant le monde politique que la société civile toute entière.

Les statistiques[1] européennes les plus à jour indiquent qu’un Belge sur sept (14,7 % de la population) connaît un « risque accru » de pauvreté. Concrètement, cela signifie que 1.470.000 personnes environ disposent d'un revenu inférieur à 60% du revenu médian en Belgique, soit 10.316,44 € par an ou 860 € par mois pour un isolé et 21.664,52 € par an ou 1.805 € par mois pour un ménage. La pauvreté en Belgique (14,7%) est plus importante que dans les pays voisins tels que les Pays-Bas (10%), l’Allemagne et la France (13%), et le Luxembourg (14%).

La variation du risque de pauvreté est déterminée dans une mesure importante par le nombre d’enfants à charge. Les personnes ayant, en 2006, vécu au sein d’un ménage avec enfants et n’ayant pas travaillé, se trouvent dans la situation la plus précaire. Parmi elles, 72% vivent sous le seuil de pauvreté. Ce pourcentage est de 33,3% pour les personnes comparables mais faisant partie d’un ménage sans enfants. A titre de comparaison, le risque de pauvreté, à intensité de travail maximale, baisse à 3,5% chez les membres d’un ménage avec enfants et à 2,2% chez les ménages sans enfants.

L'âge joue aussi un rôle. Le risque moyen de pauvreté est plus élevé chez les personnes âgées de plus de 65 ans (23,2%). A ce niveau, la Belgique se situe en dessous de la moyenne des 25 États membres de l'Union européenne (19%).

Quant au type de ménage, on constate que les isolés (23,7%), surtout les femmes seules, et les familles monoparentales (31,7%) en particulier sont davantage confrontés au risque de pauvreté que les ménages ayant plusieurs revenus.

Mais la pauvreté n’est-elle vraiment qu’une question de revenu ? Certainement pas !

La pauvreté est un phénomène complexe et n’est pas seulement liée au revenu. Elle fait indéniablement référence aux conditions de vie des personnes et à leurs capacités à assurer leurs besoins essentiels. Les enjeux de la lutte contre la pauvreté résident donc, essentiellement, dans notre capacité d’améliorer les conditions de vie des personnes vivant en situation de précarité et d’assurer, à chacun, l’accès aux droits fondamentaux.

 

PLS : Quelles sont les grandes lignes de votre plan pour répondre à ces enjeux ?

JMD : Le Gouvernement est conscient de cette réalité et a la volonté de mener une politique ambitieuse et multidimensionnelle de réduction de la pauvreté chez nous. Cet engagement est inscrit dans l’accord de Gouvernement qui entend : « mener un plan ambitieux de réduction de la pauvreté et d’augmentation du pouvoir d’achat, visant en priorité les plus vulnérables de notre société.»

Cette volonté du Gouvernement s’inscrit bien dans l’esprit de la Constitution belge qui précise dans son article 23 : « tout citoyen a le droit de vivre d’une manière conforme à la dignité humaine ».

Le plan d’action de lutte contre la pauvreté, que j’ai proposé et qui a été approuvé par le Conseil des Ministres le 04 juillet dernier consiste bien à prendre des engagements de développer les moyens concrets pour permettre à chacune et à chacun de vivre dignement.  Il entend, d’une manière réelle et concrète, assurer la sécurité d’existence.

La philosophie qui le sous-tend est bien la recherche de l’autonomie de chacun, même si pour certains le chemin est long et difficile car les parcours de vie sont divers et parfois faits d’accidents, de traumatismes, de souffrances, de déficiences, …  La démarche qui doit animer chaque acteur de lutte contre la pauvreté est une quête d’émancipation individuelle et collective.

Le plan est donc résolument ambitieux. Il fait appel à la mobilisation de chacun, à une attention de tous les instants, à un regard plus compréhensif sur l’autre.

Faire reculer la pauvreté, c’est une responsabilité collective de notre société qui implique une solidarité forte entre tous, condition indispensable au développement d’une société qui permet à chacun de réaliser son projet de vie.

Les 6 objectifs fondamentaux du plan, qui se déclinent en 59 propositions concrètes[1] sont :
- un revenu qui permet de faire des projets
- garantir le droit de la santé
- l’emploi comme vecteur d’intégration sociale et de bien-être
- pouvoir se loger
- un accès garanti à l’énergie
- des services publics accessibles à tous



PLS : 2010 a été désignée année européenne de lutte contre la pauvreté. Quel est le rôle de l’Europe dans ce domaine, que devrait-elle améliorer, modifier, continuer à votre sens ?

JMD : Le fait que la Belgique prenne la présidence de l'Union Européenne en 2010 est une opportunité pour ramener au premier plan la lutte contre la pauvreté à l'entame de la nouvelle décennie. En effet, la Belgique entretient une belle tradition en la matière. La méthode du dialogue, telle celle de la Fondation Roi Baudouin pour la réalisation du rapport général sur la pauvreté en Europe, avait été considérée à l'époque comme best practice.

C'était également la Belgique qui, en 2001, avait instauré le principe d'organiser chaque année une rencontre européenne au sommet entre les personnes vivant dans la pauvreté. En outre, 2010 sera l'année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Une raison supplémentaire pour mettre l'accent durant "notre" présidence européenne sur la lutte contre la pauvreté, par l’intermédiaire de ses acteurs, et sur les associations où les pauvres prennent la parole.

La présidence belge en 2010 doit confirmer la place essentielle de la lutte contre la pauvreté au sein de la stratégie de Lisbonne. Ceci pourrait s'inscrire dans le prolongement logique de la méthode de dialogue telle que fixée dans l'Accord de coopération relatif à la continuité de la politique en matière de pauvreté, conclu le 5 mai 1998 entre l'État fédéral, les communautés et les régions de Belgique.

C'est également possible en impliquant par exemple l'European Anti Poverty Network, le Réseau belge de lutte contre la pauvreté et les trois réseaux régionaux, en plus évidemment du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale.

Pour que les associations où les pauvres prennent la parole jouent un rôle lors de l'année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, il faudra veiller à ce que des informations soient correctement données pour que les personnes en situation de pauvreté y participent de façon réelle et active.

L'expérience belge de faire appel, dans les administrations publiques, aux médiateurs de terrain en pauvreté, est unique en Europe. Ces médiateurs, qui sont des « experts du vécu » en ce sens qu’ils sont eux-mêmes issus de situations où ils ont connu la pauvreté, peuvent intervenir comme interprète et intermédiaire entre les personnes pauvres et les administrations. Ils doivent également veiller à favoriser les recommandations de l'administration publique afin d'améliorer l'accessibilité des services aux personnes pauvres et la communication entre ceux-ci et l'administration. De même, la méthode de travail avec les médiateurs de terrain au sein de l'administration peut être promue à l'échelle européenne.

En outre, un des enjeux majeurs de notre grande Communauté est de construire une Europe plus sociale avec une plus grande harmonisation sociale et une sécurité sociale sans cesse renforcée. Nous ne pouvons pas accepter que, dans l’une des régions les plus riches du monde, il y ait toujours autant de pauvreté : l’UE compte aujourd’hui 78 millions de personnes menacées de pauvreté, soit 16% de la population.

L’année 2010 coïncidera avec le terme de la stratégie décennale de Lisbonne. Les mesures adoptées au cours de cette année permettront de réaffirmer l’engagement politique européen, formulé en 2000, lors du lancement de la stratégie de Lisbonne, à donner « un élan décisif à l’éradication de la  pauvreté » d’ici à 2010.

 

PLS : Toujours en ce qui concerne l’Europe, comment vous inscrivez-vous vis-à-vis du processus MOC? Est-ce un outil efficace ?

JMD : A l’époque, la Méthode ouverte de Coordination a été installée sous l’impulsion de la Belgique. Cette méthode vise à se mettre d’accord sur des objectifs communs et à rédiger des plans d’actions (par exemple, le PAN inclusion sociale). Ces plans doivent être comparés et confrontés les uns aux autres et une évaluation est organisée afin de mesurer les progrès réalisés. Voilà pour le rappel de la philosophie de cette méthodologie.

Mais, plus fondamentalement, il faut se réjouir du fait que, de cette manière, on essaie d’encourager les pays à mettre en œuvre l’agenda de Lisbonne.

C’est un nouveau pas vers l’harmonisation, mais cela reste une espèce de « soft law ». Nous devrons pouvoir aller un pas plus loin dans une véritable Europe sociale avec de vraies normes minimales, comme, par exemple, un revenu minimum garanti dans tous les pays européens en proportion de ce que représente le coût de la vie, etc.

Chez nous aussi, d’ailleurs, il reste encore beaucoup de progrès à accomplir à cet égard. En Belgique aussi, certains revenus se situent toujours en-dessous du seuil de pauvreté. C’est d’ailleurs un des défis majeurs du Gouvernement auquel je suis particulièrement attentif.


 

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